lundi 15 août 2011

Épilogue

Pis,… c’était comment ton année sabbatique? En voilà une question. Je suis tenté d’y aller de la réponse courte : Merveilleux, et de passer à un autre sujet. Car comment résumer 14 mois de vie en quelques phrases? Le plus facile c’est de s’en tenir au factuel. Je répondrais donc que sur les 14 mois, j’en ai passé 11 en voyage, soit sept mois en Inde, trois mois au Népal, un mois à Bali et un petit saut d’une semaine en Allemagne. Ensuite je ferais la liste des régions et des principales villes visitées, j’énumérerais les activités réalisées et je finirais avec quelques anecdotes choisies pour épicer un peu le tout.

Ou alors j’insisterais sur le fait que je suis chanceux d’avoir pu vivre une telle expérience. Liberté, exotisme, aventures, découvertes, la vie idéale quoi. Il serait de toute évidence malvenu de me plaindre, d’insinuer ne pas avoir su en retirer le maximum, ou de ne pas avoir vécu sur un high pendant tout ce temps. Sacrilège! Pendant ce temps, chez nous, le commun des mortels a du se taper un an de boulot, un an de responsabilités, d’entretien de la maison et des objets qui meublent nos vies occidentales, sans parler du traffic, des nids de poule, du prix du gaz qui augmente, de l’élimination du Canadien de la réélection de Harper. Alors faut pas faire chier…

Vrai. Mais pas si simple. Des highs, il y en a eu plein. Parlons-en donc.

Tout d’abord la nature. En haut de la liste, les magnifiques montagnes de l’Himalaya. Vous aurez lu mes chroniques sur les randonnées au Népal et au Ladakh. Je n’en rajouterai pas ici, tout a été dit. Transcendant comme expérience. Et la nature m’a gâtée. Les levers de lune au Spiti, les forêts de conifères près de Manali, la beauté du Ganges à Rishikesh, le paysage désertique du Rajasthan, les couchers de soleil de Goa, les sculptures naturelles de pierre à Hampi, les vastes plantations de thé à Munnar, les bancs de poisson au large de Bali, les terrasses de riz un peu partout, et j’en passe. Ce temps passé en nature, m’a bercé, m’a apaisé. La beauté, le calme, la force tranquille, le silence. Un rappel que nous ne sommes que de passage, et que nous nous donnons beaucoup, mais vraiment beaucoup trop d’importance. Un rappel aussi que quand la vie (re)deviendra effrénée, car ce sera assurément le cas, je saurai qu’un bain de nature saura toujours me ressourcer.

Ensuite, les gens. Que de rencontres avec l’autre. D’abord, des gens de la place. Des hôteliers, des serveurs de restaurant, des guides, mais aussi des compagnons de train ou d’autobus, et les très nombreux gens rencontrés au hasard des balades. La simplicité et l’ouverture auront été de tous les rendez-vous. J’aurai été accueilli, on m’aura gentiment aidé et j’en aurai entendu des histoires de vie. Et j’aurai compris, une fois de plus, pourquoi on nous envie tant, nous les occidentaux. C’est simple. Nous avons, dans bien des cas, tellement plus de sécurité, et d’options qu’eux. Assurance-maladie, assurance-chômage, éducation à prix modique, salaire minimum, logements subventionnés… Certains d’entre nous peuvent même prendre un an de congé et voyager à l'autre bout de la planète.

Et des co-voyageurs. À l’époque, il y avait des Nord Américains, des Australiens et des Néo-Zélandais, des Européens de l’ouest et une poignée d’Israéliens et de Japonais. Cette fois, des Brésiliens, des Argentins, des Sud Africains, une foule d’Européens de l’Est (Polonais, Tchèques, Hongrois, Russes, Ukrainiens, Slovènes, Croates, pour n’en nommer que quelques uns), des milliers d’Israéliens, des Asiatiques (toujours les Japonais, mais aussi des Coréens, des Chinois, des Thais, des Singapouriens, et de plus en plus d’Indiens), et, en prime, un couple travaillant huit mois par année en Antarctique et une fille des Iles Faroe (sortez vos atlas…). De tous les genres, de tous les statuts. La mondialisation, ça change le monde…

Finalement, la culture. L'entrechoc des traditions et de la modernité est de plus en plus d'actualité. On sent l’influence toujours grandissante de l’Occident. On voit les conséquences insidieuses de la combinaison de l’économie de marché et des images séduisantes du monde de consommation sur les relations sociales. L’érosion de valeurs traditionnelles se fait fortement sentir, particulièrement chez les jeunes. Cela dit, les coutumes ont la couenne dure. La spiritualité est omniprésente. Les temples sont encore pleins et les fêtes religieuses sont respectées. Ici, le libraire bénit sa boutique tous les matins en faisant le tour avec des bâtons d’encens, là, tous les matins les gens font des offrandes à des statuettes dans leur jardin, ailleurs, l’autobus fait un détour pour contourner une stupa. Et les vaches continuent d’errer dans les rues. Ce n’est pas toujours ce qu’il y a de plus efficace pour le fonctionnement d’une société, mais Dieu que c’est coloré et vivant. Vivement un peu de fantaisie dans nos vies; c’est bon pour ce qu’on a… Et la bouffe : les fruits exotiques, les fruits de mer, les sauces, les herbes, les épices… miam, je me suis régalé.

Et j’ai apprécié... Beaucoup... Vraiment...

Mais pas tout le temps.

Entre vous et moi, un an, c’est long pour rester sur un high. À un moment donné, on n’est plus en vacances. Et ce qui ce passe autour de nous, ce n’est pas toujours rose. Des fois, il ne fait pas beau. Des fois, il pleut 15 jours de file. Des fois, le coucher de soleil, tant vanté, reste caché derrière les nuages. Des fois, la cinquième journée de file, on ne le regarde même plus, car il est nettement moins beau qu’avant-hier ou qu’à Varkala le mois dernier.

Des fois, pus capable d’entendre des histoires de vie difficile ou d’expliquer à quel point il fait froid au Canada. Des fois, pus envie de répéter les mêmes tirades… Where you from? Where you going? How was Delhi? How was Madurai? What trek did you do? You did it in 28 days? I did it in 13! Des fois, pus envie de recommencer à zéro avec un nouveau groupe.


Des fois, pas envie d’attendre à la porte de la boutique parce que fermée, parce que parti prier. Des fois, l’odeur dans le resto me lève le cœur. Des fois, la bouffe est pas bonne et des fois, j’ai juste pus envie d’aller au resto. Des fois, pris dans la circulation pendant deux heures, ça semble tellement évident qu’un peu d’ordre et de règles claires c’est mieux. Des fois, les vaches dans les rues, c’est juste stupide.

Pis des fois, quand la santé est pas tout à fait au rendez-vous, pis qu’on est seul dans sa chambre, pis qu’on vient de se séparer d’un groupe de gens l’fun, pis qu’il pleut, pis qu’il n’y a pas d’électricité, ben là, on peut avoir le caquet bas. Et ça arrive. Sur un an, des journées, il y en a des magnifiques et il y en a d’autres nettement plus difficiles. Alors vous me pardonnerez de vous avouer que je ne marchais pas sur un nuage tous les jours.

Alors quoi conclure sur tout ça… Que rien n’est tout blanc ni tout noir. Que la vie est complexe et imprévisible, et que d’essayer de résumer nos expériences en quelques phrases, c’est trop réducteur pour en capturer l’essence.

S’il n’y a rien à conclure, ça ne veut pas dire que je n’en ai rien retiré comme leçon. La première, c’est qu’il n`y a pas de bon choix, ni de mauvais. Il y a des choix, toujours des choix, et il faut vivre avec les conséquences de ceux-ci. Vaut mieux donc faire avec que pester contre. La seconde, qui découle de la première, c’est qu’il vaut mieux faire ce qu’on a envie de faire. Je l’aime bien celle-là, alors je vous invite à passer à l’action. Faites ce que vous avez envie de faire. Pour le vrai. Prenez le temps d’y penser. Demandez-vous ce que vous auriez toujours aimé faire et faites-le. Les regrets, c’est moche, donc allez-y. Cela dit, un mot de précaution. Ce ne sera pas nécessairement plus facile, ni plus rose, que ce que vous faisiez avant, du moins pas tous les jours. Vous aurez cependant le sentiment d’avoir un certain contrôle sur votre vie, et ça c’est précieux.

Enfin, la plus importante leçon pour moi, c’est que le bonheur, le vrai, le durable, ne peut venir que de l’intérieur. Pour le reste, tout est éphémère. Le plaisir, par définition, ça passe et on est vite face à une autre page blanche. Le seul contrôle qu’on a c’est sur comment on voit les choses. On a beau changer tout ce qu’on veut de nos circonstances de vie, tout est fonction de notre perception. Je me suis donc mis à méditer au cours de ce dernier mois. Pas facile, mais la prochaine fois qu’on se voit, demandez-moi si je maintiens ma pratique, ça me motivera. Si je ne peux intégrer concrètement dans ma vie qu’une seule chose de ce grand périple, je souhaite que ce soit celle-là.

Sur ce, je termine cette dernière entée du blogue Sabbatique Asie. Je vous remercie tous de m’avoir encouragé à réaliser ce grand projet et de m’avoir accompagné tout au long du périple. J’espère que vous avez pris autant de plaisir à me lire que j’en ai eu à écrire ces nombreux feuillets. Soyez sages, juste assez, pas trop, et restez fidèles à vos inspirations les plus nobles.

Allez, bonne route!


If it is not true and not helpful, don't say it.
If it is true but not helpful don't say it,
If it is not true but helpful, don't say it,
If it is both true and helpful, choose the right time.


Bouddha




jeudi 11 août 2011

Incredible India

Je vous avais promis un texte au sujet de l’Inde. Après avoir tergiversé et procrastiné amplement, le voici donc. Difficile de s’attaquer à un sujet si vaste et si complexe. Cela dit, chose promise chose due. Et comme cette année sabbatique tire à sa fin, il n’est plus question de reporter la chose. Alors je me lance…

Les clichés abondent : il n’y a pas qu’une seule Inde, mais plusieurs - c’est un pays de contrastes - rien ne nous prépare pour l’Inde - c’est le chaos organisé - un assaut sur les sens… Tout cela est vrai. L’Inde est en fait la quintessence de l'Asie, voire même du voyage avec un grand V. Les gens qui y séjournent parlent souvent d’une relation amour/haine. Voyager en Inde c’est exigeant et il faut travailler fort, mais il y a de nombreuses récompenses. Difficile d’y voyager, mais en même temps, il existe plusieurs avantages en comparaison avec d’autres pays : on y parle l’anglais, c’est culturellement et historiquement fascinant, le réseau de transport est étendu, le coût de la vie est vraiment peu élevé et le dépaysement est omniprésent. Il est cependant recommandé d’y aller doucement et de prendre son temps. C'est vraiment l'un des rares endroits sur la planète où on peut encore se taper un sérieux choc culturel et une surcharge des sens. L'Inde est tellement, tellement, tellement… tout…, qu’il est presque impossible d'en faire un résumé. Mais encore? … Et si on commençait par quelques statistiques.

7e plus grand pays au monde, 2e en population avec plus de 1,2 milliards d’habitants. 315 millions d’urbains, deux des plus grandes villes au monde, Delhi et Mumbai (environ 20 millions chacune). Ceci dit, seulement 28% des indiens vivent en milieu urbain. Ce faible taux d’urbanisation place l’Inde au 177e rang mondial dans cette catégorie.


Pays émergeant au niveau économique, l’Inde se classe 10e au monde en matière de PNB, mais 125e au niveau du PNB par habitant. 41% des pauvres du monde y habitent et 18% des enfants ont un poids inférieur à la norme, le plaçant 1er au monde dans les deux cas. On y pratique 596 000 avortements par année, 3e au monde après la Russie et les États-Unis(!) et l’espérance de vie n’est que de 63.5 ans, 128e au classement mondial.

Bien que 80% des Indiens sont Hindouistes, le pays est un pot-pourri de religions et de croyances. Lieu de naissance de quatre grandes « religions », soit l’Hindouisme, le Bouddhisme, le Jainisme et le Sikhisme, l’Inde compte 138 millions de Musulmans, 3e au monde, après le Pakistan et l’Indonésie. On dénombre plus de 3000 castes et sous-castes, dont 160 millions de Dalits, les soit disant intouchables.

Ça nous dit quoi tout ça? Je vous avais dit que c’était complexe… Alors, y a-t-il quelque chose qui résume le tout, du moins pour le voyageur? Eh bien, pour le voyageur, la seule constante semble être que vous vous sentirez comme si tous vos sens sont agressés. En fait, il est difficile de comprendre et d'expliquer pourquoi au juste, un pays où il ya tant de saleté, où il peut faire une chaleur accablante, où les villes sont souvent moches et où on peut se faire harceler comme pas ailleurs, exerce une telle attraction. Paradoxalement, la réponse se trouve dans le fait qu’on peut se retrouver à des endroits d’une grande beauté, où on rencontre des gens d’une gentillesse et d’une générosité hors du commun et surtout, surtout, où il se dégage une énergie si forte et si intense qu’il est impossible de ne pas être interpellé. Il n’y a juste pas moyen, mais vraiment pas, de rester indifférent.

Pour ma part, j’y ai vécu des grands moments de voyage. J’en ai relaté plusieurs dans mes chroniques précédentes. L’aventure toujours renouvelée des transports dans les régions montagneuses, les temples bouddhistes du Ladakh, et hindouistes du Sud (dont le spectaculaire temple de Madurai), les champs de thé de Munnar, les ruines de Hampi, les paysages grandioses de l’Himalaya, et j’en passe. Mais ce qui frappe le plus, c’est le chaos du quotidien. On n’a qu’à mettre un pied dans la rue pour être englouti dans un flot de piétons, d’autos, de vélos, des charrettes de tout genre, de chiens et de vaches qui déferle, de façon organique et spectaculairement inefficace, dans toutes les directions à la fois. Illogique, incompréhensible, et complètement frustrant pour ceux et celles qui prisent un fonctionnement de société un tant soit peu ordonné. Le resto, les commerces, c’est pareil. Les trains, les autobus, ben aussi! Faut s’y faire.

Plus encore, il y a le contraste entre la quantité de règles et de procédures, legs de l’empire britannique, et l’application tout à fait arbitraire de ces règles. On en vient tranquillement à comprendre qu’il y a un fonctionnement parallèle, en fait de nombreux fonctionnements parallèles, où favoritisme, corruption et simple abus de petit pouvoir, créent, à l’image des dédales de rues dans les vieilles villes, des raccourcis pour se rendre où on veut aller ou obtenir ce qu’on veut (voir le texte Permis et bureaucratie 9 août 2010). S’y aventurer peut être à la fois fascinant et frustrant, mais pour vivre l’expérience indienne il faut s’y lancer. Vaut mieux être armé de patience parce que ça ne va pas de soi qu’on empruntera le chemin le plus court.

Cela étant dit si comme moi (et des milliers d'autres) suite à votre votre premier voyage il vous reste une sensation de frustration, ou même d’exaspération, après un certain temps vous vous souviendrez probablement de votre visite avec émotion et ne soyez pas surpris si, un jour, vous vous y retrouvez à nouveau. L’Inde a quelque chose d’addictif, et à un moment donné, on a besoin d’une autre dose car voyager ailleurs peut facilement paraître un peu fade en comparaison.

En bref, je conseille aux gens d’y aller, en prenant les précautions suivantes: se laisser du temps, ne pas prévoir un trajet trop ambitieux, choisir un moment de l’année où il ne fait pas trop chaud et se rappeler que bien que l'Inde peut être très bon marché, ce sera toujours un peu plus cher pour un voyageur, Dernier conseil, laissez-vous porter et attendez quelques mois après le retour avant de poser un jugement sur l’expérience vécue. Il est à noter que les zones du sud comme Goa et le Kerala sont nettement moins stressantes que les grandes villes du nord et en particulier la route touristique Rajasthan/Agra/Delhi. Finalement, si vous avez beaucoup de temps, et que vous souhaitez un petit sursis, considérez faire un petit saut au Népal; ça calme les esprits. Attention cependant, aux dernières nouvelles, même si vous avez un visa à entrées multiples, il se peut qu’on exige que vous restiez deux mois à l’extérieur de l’Inde avant de pouvoir retourner. Ne cherchez pas d’explication. À la question « Yes, but why? », on vous répondra probablement d’un hochement de tête et avec un grand sourire «This is India »...

vendredi 22 juillet 2011

L'amitié

Fin juin 2011, nouveau départ. Premier arrêt, l’Allemagne. L’Allemagne? L’Allemagne! Pourquoi l’Allemagne… il doit bien y avoir une raison. En effet. J’y arrête, en chemin pour l’Inde, pour y retrouver mon bon ami Yanick, qui y vit depuis maintenant six ans avec sa conjointe, Manon, et leurs deux enfants, Ludovick et Zachary. Ils demeurent à Bonn, tout près de Cologne, et les deux travaillent dans une agence des Nations Unies.


Je suis arrivé le 29 juin et nous n’avions qu’une soirée tous ensemble, Manon et les enfants partant le lendemain matin pour des vacances au Québec. On a passé une très belle soirée en famille, ce fut fascinant de voir des enfants qui parlent l’anglais, le français, l’allemand et un peu l’espagnol (ils ont vécu au Panama entre le Québec et l’Allemagne).


Une fois la famille partie, il ne restait que les boys et on a quatre jours! On fait quoi? Tant de capitales européennes à quelques heures de train. Berlin? Amsterdam? Bruxelles? Paris? Non. Les berges de la rivière Moselle à vélo. Bon, d’accord, chacun son trip me direz-vous. N,es vous déplaise, ce fut génial! Quatre jours à pédaler et à jaser (c’est plat les berges de la rivière). Quatre jours de paysages superbes, d’air pur, d’exercice pour le corps et pour l’esprit. Quatre jours à nourrir une grande amitié. Tout cela accompagné de bonnes bouteilles de vin blanc de production locale et de grosse bouffe allemande (bon, on ne peut pas tout avoir… du moins pas en même temps). Des moments savoureux!


Une belle expérience européenne… On part de chez Yanick en vélo en milieu d’après midi, on arrête acheter un sandwich viande/fromage à deux Euros taxes incluses (l’Euro est à environ 1.40 $, vous ferez le calcul) puis on se rend à la gare de train. Le train est pile poil à l’heure, si on avait pris à peine quelques minutes de plus pour se rendre à la gare, on l’aurait raté. Ce n’est pas grave, l’avoir raté, il y en avait un autre 15 minutes plus tard. On installe les vélos dans un wagon bien identifié, et nous voilà partis. On en a pour une heure, puis changement de train à Koblenz, direction Mainz, près de la frontière Luxembourgeoise. À peine trois heures après notre départ, on se retrouve assis sur une terrasse dans une sympathique petite ville allemande à siroter une bière. Facile comme tout. On n’est de toute évidence pas en Amérique du Nord.

Le lendemain matin, on se tape un bon petit dej pain, viandes froides et fromage, on enfourche les vélos et on est parti. Rapidement, on rejoint une piste de vélo et c’est sur une piste à l’écart de la route qu’on roulera pour la plupart des quatre jours. Les paysages sont superbes. La vallée de la Moselle est étroite, et de chaque côté de la rivière, nos yeux se posent sur des vignobles escarpés, à perte de vue. Biutiful!!!

La première journée, on roulera une cinquantaine de kilomètres avec pour seul pépin, une crevaison, ce qui mettra à l’épreuve et la patience, et les talents de réparateur de Yanick. On s’arrêtera finalement pour la nuit dans le charmant petit village de Neumagen. Ce sera la première d’une série de découvertes de petits bars et petites caves à vin, plus typiques les unes que les autres. Le vin blanc de la région s’y vend de 4 et 7 Euros la bouteille (je vous vois faire la conversion; le calcul mental c’est bon pour exercer les neurones…). À ce prix, y’a pas de quoi se priver.

Les prochains jours seront tout aussi agréables. On roulera entre 40 et 80 kilomètres par jour, tantôt à quelques mètres à peine de la rivière, tantôt au cœur même des vignobles, empruntant de temps à autre un traversier pour visiter un village particulièrement joli situé de l’autre côté. Bernkastel-Kues, Peisport, Bullay, Cochem, au rythme des coups de pédale, agrémenté d’un petit verre ou deux en fin de journée. Dans son genre, dur à battre.

Si toute bonne chose doit avoir une fin, l’avantage de le savoir et de n’avoir que quelques jours, c’est que l’authenticité du partage s’en trouve intensifié. On aura donné le meilleur de nous-mêmes, et je me suis senti, une fois de plus au cours de cette belle année, très reconnaissant. Merci cher ami.

En y repensant depuis, j’en suis venu à la conclusion que l’amitié, c’est comme un bon vin. Il s’améliore avec le temps. Cela dit, quand le temps s’y prête, et qu’on est en bonne compagnie, il ne faut pas hésiter à le boire. Il y aura toujours une autre bouteille…



Chus!

samedi 14 mai 2011

La Superbe

Cette fois, les mots seront nettement insuffisants. Les photos aussi. Il aurait fallu faire un film, mais je n’ai ni l’équipement, ni le talent, ni les compétences nécessaires. Et encore; je ne suis pas certain que le résultat eut été à la hauteur. De quoi vous vous demandez? Bon, je me lance…

Le 7 mars dernier, mon fils Alexis me rejoint à Katmandou. Nous quittons le surlendemain pour Pokhara d'où nous réglons les derniers détails de sorte à être fins prêts. Le 12 mars, ça y est, nous prenons le bus pour Besisahar, point de départ du légendaire « Tour des Annapurnas ».

Le sentier, connu par les amateurs de randonnée pédestre depuis plus de 40 ans, fait une boucle presque complète autour du massif des Annapurnas en suivant deux chemins jadis utilisés par les caravaniers pour effectuer le commerce entre l’Inde et le Tibet. En général, les randonneurs montent la vallée de la rivière Marysangdi, puis traversent le Thorung La, un col de 5416 mètres, pour rejoindre, et par la suite redescendre, la vallée de la rivière Kali Gandaki. Autrefois, il fallait mettre une vingtaine de jours pour compléter le circuit. Depuis quelques années cependant, une route gruge inexorablement le trajet. Aussi, pour la majorité des gens, la randonnée se termine maintenant après une dizaine de jours à Muktinath, le premier village après le col. Le retour par la vallée de la Kali Gandaki se fait donc généralement en bus plutôt qu’à pied.

Depuis mon retour de la randonnée dans la vallée du Langtang quelques semaines plus tôt, je me meurs de repartir en trekking. Cette fois cependant nous serons deux, et je me dis que le séjour sera différent. La barre est haute; Lantang avait été magnifique. J’étais loin de me douter que je vivrais une expérience encore plus marquante. Je passerai les quatre prochaines semaines à marcher, à réfléchir, à discuter, à vivre un magnifique périple physique, émotif et spirituel, au milieu d’un paysage grandiose. Une randonnée extraordinaire ou mon corps et mon esprit ont ressenti des marées de pure joie et sur ce fond, un moment de partage père-fils privilégié tel que j’ai l’impression d’être parti avec un fils et d’être revenu avec un ami.

Pourtant, ça commence sans grand éclat. Les deux ou trois premiers jours, je peine à trouver mon rythme. Mon sac à dos me semble lourd, j’ai mal au dos et aux genoux, et mon niveau d’énergie est faible. Nous marchons parfois sur la route, ce qui n’est pas très inspirant, et plus encore, le bruit fréquent des pelles mécaniques et des marteaux-pilons m’agresse. Je vois bien que le circuit n’est plus ce qu’il était. Le développement, panacée pour les uns, est une triste nouvelle pour les autres.

Au fil des jours cependant, le paysage sonore et visuel change dramatiquement. Je commence du même coup à trouver mon rythme. À partir du quatrième jour, alors qu’on approche des 3000 mètres d’altitude, nous quittons pour de bon la route et l’énergie est toute autre. Nous marchons plus ou moins à la même cadence que ce qui est suggéré par le guide de voyage, mais moins d’heures par jour. Quand nous ne marchons pas, nous discutons. Nous partageons tous deux une même curiosité intellectuelle de sorte que tout est sujet à discussion. Les échanges sont francs et surtout très stimulants. Et, quand nous trouvons que nous avons assez parlé, nous laissons errer notre regard et nous restons simplement assis, bouche bée, à contempler le paysage.

Lors d’une journée de repos dans le superbe village d’Upper Pisang, une collection de vieux bâtiments en pierre perchés à flanc de montagne, je suis assis à contempler l’imposant sommet d’Annapurna II qui se dresse devant moi, culminant à presque 5000 mètres plus haut. La vue est magique, et d’immenses sommets enneigés dominent le paysage. L’air est plus frais ici et l’oxygène se fait plus rare. L’énergie des hautes montagnes m’enveloppe et me berce, et je me sens en paix. Graduellement, je réalise que mon regard se détourne des hauts sommets pour se porter de plus en plus vers la vallée en amont et le sentier qui nous mènera vers le col. Je sens l’appel du Thorong La à quatre jours de marche d’où nous sommes. Nous nous devons de le traverser, sans quoi nous devrons revenir sur nos pas. Si c’est le cas, nous ne serons pas les premiers et je suis prêt à l’accepter. Le mal d’altitude peut frapper n’importe qui, n’importe quand. Il y a certaines règles à respecter, dont la vitesse d’ascension et les paliers d’acclimatation, mais rien n’est garanti. Je reste assis à baigner dans les derniers rayons de soleil de la journée. Un mélange jouissif d’ivresse et d’appréhension m’envahit et je me sens attiré comme par un aimant.

À partir de ce moment, l’expérience s’intensifie. Je vivrai la prochaine semaine comme une douce séduction, en proie à la fois à une grande excitation et à une toute aussi grande nervosité. J’ai une folle envie de me précipiter vers le col, mais je suis tellement bien que j’ai envie de faire durer le plaisir. Nous faisons quelques excursions à l’écart du sentier principal, et les paysages, jusqu’alors simplement merveilleux, deviennent époustouflants. La journée à Ice Lake, à 4600 mètres, puis les trois jours pour se rendre et revenir de Tilicho Lake, à tout près de 5000 mètres nous permettent de découvrir de spectaculaires paysages de haute montagne. Je me sens dans un état de grâce.




Après une journée de repos à Manang, nous reprenons la route vers le col avec un sentiment d’euphorie. L’effort devient plus exigeant, le froid plus intense, et je savoure chaque moment. Nous ralentissons notre rythme non pas parce que c’est difficile, mais pour respecter les paliers d’acclimatation, et surtout parce que nous ne voulons pas que la danse se termine. Les deux derniers jours avant le jour fatidique, nous ne marchons que deux heures par jour. Le reste de la journée nous attendons. L’attente est sublime.

Et pendant tout ce temps, nous échangeons à propos de sujets aussi légers que le sens de la vie, le pouvoir de la perception et les défis auxquels nous nous mesurons afin de tenter de vivre heureux. Nos échanges sont riches et touchants, empreints de respect, d’ouverture et de vulnérabilité. Et plus nous approchons du col, plus ce que nous vivons chaque jour et le fruit de nos discussions se fondent en un seul et même récit et nous mène à la réflexion suivante :

Tout change. Inexorablement. Pourtant, dans notre quête du bonheur, nous tentons de stabiliser et de contrôler le plus de choses possible dans notre vie. Mais nous n’y arrivons que rarement, et jamais pour longtemps.
La seule chose que nous pouvons contrôler cependant, c’est comment nous regardons le monde. À quoi nous attachons de l’importance. Quels qualificatifs nous attribuons aux événements et aux gens.

Ces choix sont fondamentaux. Et tant qu’à choisir, autant choisir d’accepter ce qui est , de comprendre que ce qui est changera, et de croire, vraiment croire, que les changements qui ont, et qui auront cours, sont les meilleurs qui puissent être.

L’énergie des montagnes nous inspirant, c’est dans cet esprit que nous vivrons le reste de la randonnée. Nous choisissons d’accepter et d’aimer. Chaque jour, nous optons d’apprécier la vue, le ciel bleu, les nuages, le lit dur, les oreillers confortables ou pas, le vent, la chaleur, la nourriture sans fioriture qu’on nous sert, le froid, le peu de gens sur le sentier, la neige ou l’absence de neige... Tout est merveilleux.

Vous me direz que c’est nettement plus facile de faire ce choix dans le contexte d’une randonnée au Népal en plein cœur d’une année sabbatique que dans la vraie vie. Je vous l’accorde.
Je ne sais pas à quel point je réussirai à intégrer ce point de vue quand je serai de retour. Je sais que ce sera un défi. Je sais cependant que j’ai touché à quelque chose qui m’a fait énormément de bien et que ça vaut tous les efforts d’essayer de le maintenir. Pour que la vie soit merveilleuse, il faut croire, à chaque moment, que la vie est merveilleuse…

Chaque jour nous rapproche du col, et l’un de l’autre. Mes sens sont surexcités et en même temps un calme profond s’empare de mon être. La veille de la traversée, nous nous trouvons à Thorong Phedi à 4 540 mètres avec une cinquantaine d’autres trekkers et il règne dans l’auberge une fébrilité palpable. Chacun se sent unit aux autres de par le défi qui nous attend le lendemain, et en même temps, chacun se sent seul.


Le matin du 30 mars, nous nous réveillons tôt et un coup d’œil rapide par la fenêtre nous confirme la bonne nouvelle. Le ciel est d’un bleu resplendissant; on y va! La première heure est ardue. Le sentier est abrupt et nous avons le souffle court. Nous marchons avec Mike, un Américain, et Tanguy et Sylvie, un couple français. C’est agréable d’avoir de la compagnie, mais il faut prendre garde de ne pas être influencé par la cadence des autres et maintenir son propre rythme. Nous faisons un arrêt au «High camp», une auberge à 4800 mètres, le dernier point de ravitaillement avant le col. Nous y croiserons un couple d’Allemands, Hans et Ulrike, qui y logent depuis quatre jours. Depuis leur arrivée, Ulrike a des ennuis gastriques et ils ont choisi de patienter sur place plutôt que de redescendre. Ce matin, elle est vraiment mal en point et ils décident de faire appel à un hélicoptère pour la transporter à l’hôpital de Pokhara. Du même coup, Mike est pris d’une soudaine diarrhée et Sylvie régurgite son petit déjeuner.

Nous nous reposons quelques minutes. Je sens tout d’un coup le sérieux de notre aventure, et je prends le temps de me palper, mais pas trop. Je me sens bien, et j’ai hâte de recommencer à marcher. Ne pouvant les aider davantage, nous souhaitons bonne chance aux deux allemands, et notre petit groupe reprend le sentier. Que de destins différents se croisent quand on est en voyage. Je ne peux pas m’empêcher de penser que ça aurait pu être moi. Mais ce ne l’est pas, et l’effort me ramène à mon corps et au moment présent. Plus on monte, plus l’effet de l’altitude se fait sentir et plus chaque pas demande un effort. Alexis semble en pleine forme, il sera la locomotive du groupe jusqu’au col. Pour ma part, je maintiens le rythme et je me sens en parfaite harmonie avec mon corps. L’effort est soutenu mais la forme y est. À chaque pause, je me remémore les mots que le vent, messager venant de plus haut dans la vallée, m’a soufflés il y a quelques jours à Upper Pisang :

Marche vers moi comme tu marches vers toi-même. Respectueusement, tendrement, mais avec une détermination inébranlable.

Je repars, le pas léger et le sourire aux lèvres. Nous mettrons quatre heures à rejoindre le col. Quatre heures de souffrance. Quatre heures d’extase. Quatre heures parfaites. Au moment de réaliser qu’il ne reste plus que quelques mètres à faire, une vague d’émotion déferle sur mon corps tout entier et des larmes de joie coulent le long de mes joues. Je serre mon fils dans mes bras, je m’abandonne à la sensation, et je sais que ce moment de vie sera à tout jamais inscrit dans tous les pores de ma peau.

Il y a, tenez vous bien, un « tea shop » au haut du col! Nous partageons donc le thé et l’immense satisfaction que nous ressentons, avec les autres randonneurs qui s’y trouvent. La descente de 1800 mètres se fera en quatre heures et sera tout aussi éprouvante que la montée, mes genoux peuvent en témoigner. Je suis content d’arriver à l’auberge, mais suis habité par un curieux mélange de satisfaction et de tristesse. Satisfait d’avoir vécu pleinement cette dernière semaine, et triste de savoir que cette portion du voyage, cette tranche de vie, est déjà terminée.



Ne demande pas que ce qui arrive arrive comme tu le veux, mais veuille que les choses arrivent comme elles arrivent, et tu seras heureux.
Épictète

Le temps passe et un jour on est vieux et puis seul, et rien ne reste plus, que la fierté d’avoir aimé correctement…
Jean Leloup

vendredi 11 mars 2011

Freak show

Le 2 mars dernier, c’était la grande fête de Shivaratri. Le meilleur endroit à Katmandou pour le vivre et faire un bain de foule c’est à Pashupatinath, principal temple hindou de la vallée. On me dit que des dizaines de milliers de pèlerins s’y rendront pour prier. Il doit en outre y avoir des milliers de sadhus (voir en bas de texte pour une définition) venus de tous les coins du Népal et de l’Inde qui participeront à cette grande fête.

Je saute donc dans un taxi (pourquoi faut-il sauter dans un taxi au juste, on ne peut pas y monter tout doucement?) destination Pashupatinath. Première indication de comment se passera ma journée, le chauffeur doit me déposer à 15 minutes de marche du temple, pas possible de s’aventurer plus près, toutes les rues sont fermées. Je me doutais qu’il y aurait du monde, mais là, y’a du monde… Je suis rapidement englouti dans une vague de milliers de gens qui déferle vers le temple. L’expérience est à vrai dire un peu inquiétante. Je ne contrôle pas du tout mes mouvements, sauf pour tenter de garder mon équilibre et de pousser ceux qui tentent de se diriger en direction contraire. Je crains un peu pour mon porte-monnaie et mon appareil photo, mais je n’y peux grand-chose. La vague me transportera pendant une dizaine de minutes et me déposera sain et sauf, malgré moi, à quelques mètres de l’entrée pour touristes. Ouff…

Il y a deux endroits principaux dans le complexe du temple. Le temple proprement dit, réservé aux Hindous, et les abords de la rivière, où se font les crémations et où tous peuvent accéder. Il y a une interminable file d’attente pour entrer dans l’enceinte du temple. Les portes ouvrent à trois heures du matin et resteront ouvertes pendant plus de 24 heures pour permettre aux fidèles de témoigner de leur adoration pour Shiva. On me dira par après que plus de 500 000 personnes auront visité le site cette journée là. C’est presque autant qu’à la Marche 2/3!

Ne voulant pas faire la file pendant de longues heures, et, par surcroît, n’étant pas Hindou, je me dirige plutôt vers la rivière. Là encore il y a des milliers de personnes. C’est difficile d’avancer et encore plus difficile de s’arrêter car policiers et militaires sont là pour faire circuler et éviter la création de bouchons monstres. Je me demande pourquoi il y a tant de gens de ce côté, et surtout pourquoi 90% de ces gens sont des jeunes hommes, ce qui diffère de la file à l’entrée du temple composée davantage de femmes et de gens plus agés. Je ne devrai pas attendre longtemps pour avoir ma réponse. Il y a des centaines de sadhus assis ici et là, tous occupés à rouler et à vendre des joints. Aujourd’hui, et seulement aujourd’hui, les officiels tolèrent la vente et la consommation de cannabis. Les jeunes s’en donnent donc à cœur joie. Plus la soirée avance, plus les jeunes sont désinhibés et plus ça ressemble à « Spring Break » où les universitaires américains descendent en gang en Floride où à Cancun pour faire la foire. Ça rit, ça hurle, ça se rassemble autour des sadhus (rendus pas mal stoned à ce stade) et ça se moque d’eux en prenant des photos. Plutôt irrévérencieux.

Il n’y a pas si longtemps, ces «Saints hommes» faisaient partie du paysage quotidien de la vie au Népal, même à Katmandou. En une génération, ils semblent être devenus, pour les jeunes citadins, au mieux de simples objets de curiosité anachroniques, au pire de ridicules pantins.

S’il est vrai que leur apparence est très particulière et leur choix de vie pour le moins hors de l’ordinaire, la nature de leur cheminement et de leur quête a toujours fasciné et suscité le respect de la population locale et des étrangers. Les temps changent. Le modernisme remplace rapidement les traditions millénaires. On est à remplacer les dévots par les stars et les temples par les centres d’achats. On y perd assurément quelque chose, si ce n’est que le respect des ainés et de leurs choix, et la quête spirituelle par la recherche du « look ». Pourtant, la sagesse et l’expérience ont surement leur place dans l’échelle des valeurs d’un peuple. Ou peut-être tout cela n’est que l’opinion de quelqu’un qui vieillit… Quoi qu’il en soit, j’ai tout de même senti qu’on n’était pas loin du freak show.

Dommage.

Le sadhu (du sanskrit sādhu, « homme de bien, saint homme ») est, en Inde, celui qui a renoncé à la société pour se consacrer au but ultime de toute vie, selon l'hindouisme, l'arrêt du cycle des renaissances et la dissolution dans le divin, la fusion avec la conscience cosmique. En tant que renonçants, ils coupent tout lien avec leur famille, ne possèdent rien ou peu de choses, s'habillent d'un longhi, d'une tunique, de couleur safran pour les shivaïtes, jaune ou blanche pour les vishnouites, symbolisant la sainteté, et parfois de quelques colliers. Ils n'ont pas de toit et passent leur vie à se déplacer sur les routes de l'Inde et du Népal, se nourrissant des dons des dévots.

lundi 7 mars 2011

Lantang... le voyage intérieur

Je vous ai relaté, dans ma dernière chronique, les détails factuels de ma randonnée dans la Lantang Himal. Cette fois, tournons-nous un peu vers l’intérieur pour voir ce qui s’y trouve, histoire de mieux saisir l’impact d’une telle aventure.

Je suis tenté de résumer le tout en disant simplement que je me suis senti bien, vraiment bien. Un sentiment d’être au bon endroit au bon moment. Mais encore dîtes-vous… OK. Je me suis senti tour à tour excité, serein, comblé, exalté, privilégié, profondément calme et euphorique. Bref, j’ai pogné un osti d’buzz.

Bien des choses y ont contribué et c’est difficile de les démêler, car elles font toutes parties de l’expérience d’une randonnée en montagne au Népal. Je me lance tout de même…
Tout d’abord, en soi, le fait d’être dans la nature fait effet. L’air est pur, pas d’autos, pas de motos, en fait, pas de moteurs. Souvent, lorsque je m’arrête sur le sentier, pas un bruit. Le calme, la paix, la sérénité. Il y a beaucoup moins de stimuli qu’en ville, donc plus de place pour se poser doucement et se laisser bercer. De plus, il y a peu de gens qui font ce trek à ce moment de l’année, donc je baigne dans un espace de grande tranquillité. Mon esprit s’apaise et je me satisfais pleinement d’être là où je suis plutôt que de me demander ce que je ferai dans quelques minutes, dans quelques heures ou même dans quelques mois.

Puis le paysage. Vaste, grandiose, inspirant. La montagne attire le regard vers le haut. Je me sens littéralement soulevé. Mon corps est léger malgré la fatigue et les 12 kilos que je porte sur le dos. Il y a de l’horizon, du ciel. Je peux, plus souvent qu’autrement, voir loin. La bordée de neige accentue l’effet de la lumière à cette altitude et tout est resplendissant. L’effet sur le moral se fait sentir. Je dois me pincer pour me rappeler à quel point je suis chanceux d’être ici.

Et puis, il y a le rythme de la marche. Il y a, pour moi, quelque chose d’essentiel dans une longue randonnée. Parcourir un chemin de nombreuses journées, ça se vit à la fois dans le corps, dans la tête et dans l’âme. Plus encore, il y a, dans le fait de déambuler à la vitesse de ses pas, quelque chose de pure et de rassurant qui permet de goûter intensément chaque moment.

Les métaphores avec la Vie sont peut-être faciles et peu originales, mais ça ne les rend pas moins vraies.
Qu’il fasse beau ou moins beau, que le sentier soit facile ou difficile, que je sois fatigué ou pas, il me suffit, une fois la direction choisie, de mettre un pied devant l’autre. Je ne me pose plus de questions, il n’y a plus de doutes, il n’y a que le plaisir d’avoir choisi, et de suivre, sa voie.
Quand il fait beau, je savoure. Je prends le temps de m’arrêter, de respirer et de regarder, et il monte en moi un sentiment de plénitude et de gratitude.
Quand le temps est moins clément, je baisse la tête, et je continue de mettre un pied devant l’autre. C’est futile de pester contre le mauvais temps, ça ne fait que rendre l’expérience plus difficile. Il n’y a qu’à l’accepter et à poursuivre sa route avec détermination. Il n'existe rien de constant si ce n'est le changement disait Bouddha. L’acceptation de cette grande vérité est plus facile dans la nature. Ça se sent dans les trippes.

Durant cette marche j’ai (re)trouvé mon rythme. L’objectif final existe, mais il est loin. Il n’y a pas de temps défini pour franchir les étapes. Il n’y a donc pas d’obligation de résultat pour aujourd’hui outre peut-être celui d’être présent. En fait, même l’objectif final, ce n’est qu’un prétexte, une orientation qui permet d’entamer le mouvement. Il importe relativement peu si je me rends où pas, il n’y a que la route. Ayant cette perspective, je ne mesure pas la distance parcourue ni celle qu’il me reste à parcourir. Je n’ai pas hâte d’arriver car je suis submergé par car ce que je vis, ici et maintenant. La marche devient en sorte une méditation active.

Et elle est active. Il ne faudrait pas que je vous donne l’impression qu’une telle randonnée ne demande pas un effort physique soutenu. C’est quand même de nombreuses heures de marche par jour, plus de 3000 mètres de montée (et de descente…) et un confort rudimentaire. Cet effort est en fait directement lié au sentiment de bien-être. Selon Wikipédia, « les endorphines, ou endomorphines, sont des composés opioïdes peptidiques endogènes. Elles sont secrétées par l'hypophyse et l'hypothalamus chez les vertébrés lors d'activité physique intense, excitation, douleur et orgasme. Elles ressemblent aux opiacés par leur capacité analgésique et à procurer une sensation de bien-être ». Il paraît que la quantité d'endorphines augmente pendant l'exercice et atteint cinq fois les valeurs de repos, 30 à 45 minutes après l'arrêt de l'effort et que les sports d'endurance sont les plus endorphinogènes. Mens sana in corpore sano disaient les romains.

Voilà donc en quelques lignes les mots qui me viennent pour décrire l’expérience. Reste que comme pour toute expérience, les mots nous manquent pour décrire le ressenti, et c’est bien ainsi car il faut le faire pour le vivre. Sur ce, je prépare ma prochaine randonnée. D’ici quelques jours je pars pour le circuit de l’Annapurna avec mon fils Alexis qui vient de me rejoindre il y a quelques jours.



OOOOOOOOoooooooommmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmm!!!

jeudi 3 mars 2011

Lantang... le voyage extérieur

Premier trek au Népal depuis 1986. Bien que je sois venu de nombreuses fois depuis, c’était dans le cadre du travail, donc pas le temps requis pour ce type d’activité. Je me sens d’attaque, mais avant tout, je dois décider si je transporte tout mon bagage où si j’embauche un porteur? Il fera assurément froid, il est encore tôt en saison et je monterai à plus de 4000 mètres. J’aurai donc besoin de beaucoup de vêtements chauds. Cela dit, je coucherai dans des lodges, qui, pour la plupart, offrent un confort semblable aux refuges des sentiers pédestres ou de ski de fond du Québec (sans chauffage cependant, mais avec des couvertes!), donc pas de stock de camping et peu ou pas de nourriture.

Je décide finalement de tester le tout par une (relativement) courte randonnée dans les montagnes du Langtang Himal. Je choisis de partir seul, sans porteur ni guide, histoire d’être plus libre de mes mouvements et de ne pas avoir à négocier ou à m’expliquer quant au temps de départ, au nombre d’heures de marche, aux arrêts,… et voir ce dont je suis capable. J’irai lentement, parcourant en 10 jours ce que les livres suggèrent se fait en 7 ou 8 jours.

Je fais tous les achats requis à Katmandou, car j’ai tout renvoyé on linge chaud à Montréal en octobre dernier. J’essaie de ne pas être trop chargé, mais je ne sais pas exactement ce qui m’attend. On me dit que la température devrait être élevée le jour et qu’il n’y aura pas de neige à ce temps de l’année, outre sur les sommets des montagnes qui m’entoureront. On verra bien…

Je quitte donc un beau matin de la mi-février pour un mémorable voyage d’autobus qui franchira les 150 kilomètres me séparant de Syabrubesi, le point de départ de la rando,… en 10 heures! Voyage plutôt pénible, mais c’est le prix à payer. Je suis accompagné d’un couple de jeunes britanniques, Matt et Rachel. Ils sont très sympathiques, et eux, de l’équipement, ils en ont. Matt travaille à temps partiel dans un magasin de plein air, et il achète toutes les nouveautés sur le marché. Ils semblent les deux fins prêts, et je me demande si j’arriverai à les suivre, bien qu’il n’y ait pas d’engagement de part et d’autre.


Syabrubesi possède le charme de ces petits villages de montagne qui sont à la fois le bout de la route et le début du sentier. On y sent une certaine fébrilité de la part des randonneurs qui entameront la piste le lendemain et le mélange de fatigue, de fierté et de sérénité qui règne autour de ceux qui en sont revenus. J’ai très hâte de partir, mais curieusement, mon estomac ne partage pas mon enthousiasme. Le Dahl Bhat mangé il y a quelques heures ne passe pas bien. Je vous éviterai les détails, mais après une nuit mouvementée, je décide de reporter mon départ d’une journée et je passerai l’essentiel de mon temps à dormir.

Je me sens mieux le lendemain quoique un peu faible, mais pas question de retarder le départ. En fin de journée, on n’aura fait que la moitié de la distance suggérée par la Bible - le Lonely Planet « Trekking in the Nepal Himalaya - mais je trouve que c’est bien assez. Le paysage est agréable, mais pas dramatique. On se croirait dans l’ouest canadien, avec de nombreux conifères et des parois rocheuses plutôt abruptes. La deuxième journée on ne marchera que moins de trois heures et mes amis ont de la difficulté à trouver un bon rythme. Je me trouve à les attendre fréquemment. C’est bon pour l’égo, mais l’égo n’a pas sa place ici. Les bienfaits du plein air se font déjà sentir, je commence à me détendre et à apprécier chaque moment.

En début d’après-midi il commence à pleuvoir, puis à grêler. Je passerai la journée à placoter avec les gens qui se trouvent au lodge et à regarder le ciel changer de couleur aux 10 minutes. Il y a peu de gens sur le sentier. Tout d’abord, la région ne reçoit qu’une fraction des randonneurs qui viennent au Népal chaque année. On parle de 100 000 marcheurs vers le camp de base de l’Everest, 60 000 dans la région de l’Annapurna contre seulement 5 000 au Langtang. De plus on est encore hors saison. Octobre-novembre est de loin la période la plus populaire, suivi de mars-avril. Durant tout le trek, il n’y aura jamais plus de quatre étrangers dans les endroits où je loge et parfois je serai seul.

Surprise, le lendemain matin, il neige légèrement. Deuxième surprise, mes compagnons m’annoncent qu’ils redescendent. C’est vrai que ça s’annonce un peu plus costaud qu’anticipé. S’il neige ici à 2 400 mètres, il y aura certainement encore plus de neige en altitude. Bon, c’est pas un peu de neige qui va m’arrêter, alors je poursuis ma route seul. Le sentier devient de plus en plus difficile, la neige s’accumulant rapidement. Je décide donc d’arrêter vers 13 heures et d’attendre que la tempête s’essoufle. Pas de répit de la journée, le soir venu il y a au moins 20 cm au sol. Je m’endors donc sans trop savoir ce qui m’attendra le lendemain.

Le matin suivant, je suis réveillé par une lumière éblouissante qui illumine ma petite chambre. Il fait un temps splendide. Le ciel est d’un bleu azur et le reste du paysage est drapé de blanc. Ce serait une magnifique journée de ski de fond, mais il faudra plutôt marcher. Pendant deux jours je monterai dans la neige jusqu’au dernier village à 3850 mètres. Le spectacle est magnifique, les couleurs étincelantes et la sensation enivrante. Je me sens extraordinairement bien. Je resterai à Kyanjin Gompa 2 ½ jours et je monterai jusqu’à 4 700 mètres.

Assis, seul au sommet de Kianjin Ri, je me sens privilégié. Il y a des moments où tout semble parfait et les mots ne suffisent pas pour décrire le sentiment de plénitude qui m’habite.

Je dévalerai en trois jours les 2 500 mètres jusqu’à Syabrubesi, mon point de départ. Mes genoux en prendront pour leur rhume, mais malgré le fait que je sens encore un peu de douleur 6 jours plus tard, je veux absolument retourner en montage. J’y ai retrouvé quelque chose d’essentiel. Mais ça, ce sera l’objet de ma prochaine chronique.



Once in their lifetime, every person should journey to a place where legends live, where everything is bigger than life.
Alpiniste anonyme