vendredi 11 mars 2011

Freak show

Le 2 mars dernier, c’était la grande fête de Shivaratri. Le meilleur endroit à Katmandou pour le vivre et faire un bain de foule c’est à Pashupatinath, principal temple hindou de la vallée. On me dit que des dizaines de milliers de pèlerins s’y rendront pour prier. Il doit en outre y avoir des milliers de sadhus (voir en bas de texte pour une définition) venus de tous les coins du Népal et de l’Inde qui participeront à cette grande fête.

Je saute donc dans un taxi (pourquoi faut-il sauter dans un taxi au juste, on ne peut pas y monter tout doucement?) destination Pashupatinath. Première indication de comment se passera ma journée, le chauffeur doit me déposer à 15 minutes de marche du temple, pas possible de s’aventurer plus près, toutes les rues sont fermées. Je me doutais qu’il y aurait du monde, mais là, y’a du monde… Je suis rapidement englouti dans une vague de milliers de gens qui déferle vers le temple. L’expérience est à vrai dire un peu inquiétante. Je ne contrôle pas du tout mes mouvements, sauf pour tenter de garder mon équilibre et de pousser ceux qui tentent de se diriger en direction contraire. Je crains un peu pour mon porte-monnaie et mon appareil photo, mais je n’y peux grand-chose. La vague me transportera pendant une dizaine de minutes et me déposera sain et sauf, malgré moi, à quelques mètres de l’entrée pour touristes. Ouff…

Il y a deux endroits principaux dans le complexe du temple. Le temple proprement dit, réservé aux Hindous, et les abords de la rivière, où se font les crémations et où tous peuvent accéder. Il y a une interminable file d’attente pour entrer dans l’enceinte du temple. Les portes ouvrent à trois heures du matin et resteront ouvertes pendant plus de 24 heures pour permettre aux fidèles de témoigner de leur adoration pour Shiva. On me dira par après que plus de 500 000 personnes auront visité le site cette journée là. C’est presque autant qu’à la Marche 2/3!

Ne voulant pas faire la file pendant de longues heures, et, par surcroît, n’étant pas Hindou, je me dirige plutôt vers la rivière. Là encore il y a des milliers de personnes. C’est difficile d’avancer et encore plus difficile de s’arrêter car policiers et militaires sont là pour faire circuler et éviter la création de bouchons monstres. Je me demande pourquoi il y a tant de gens de ce côté, et surtout pourquoi 90% de ces gens sont des jeunes hommes, ce qui diffère de la file à l’entrée du temple composée davantage de femmes et de gens plus agés. Je ne devrai pas attendre longtemps pour avoir ma réponse. Il y a des centaines de sadhus assis ici et là, tous occupés à rouler et à vendre des joints. Aujourd’hui, et seulement aujourd’hui, les officiels tolèrent la vente et la consommation de cannabis. Les jeunes s’en donnent donc à cœur joie. Plus la soirée avance, plus les jeunes sont désinhibés et plus ça ressemble à « Spring Break » où les universitaires américains descendent en gang en Floride où à Cancun pour faire la foire. Ça rit, ça hurle, ça se rassemble autour des sadhus (rendus pas mal stoned à ce stade) et ça se moque d’eux en prenant des photos. Plutôt irrévérencieux.

Il n’y a pas si longtemps, ces «Saints hommes» faisaient partie du paysage quotidien de la vie au Népal, même à Katmandou. En une génération, ils semblent être devenus, pour les jeunes citadins, au mieux de simples objets de curiosité anachroniques, au pire de ridicules pantins.

S’il est vrai que leur apparence est très particulière et leur choix de vie pour le moins hors de l’ordinaire, la nature de leur cheminement et de leur quête a toujours fasciné et suscité le respect de la population locale et des étrangers. Les temps changent. Le modernisme remplace rapidement les traditions millénaires. On est à remplacer les dévots par les stars et les temples par les centres d’achats. On y perd assurément quelque chose, si ce n’est que le respect des ainés et de leurs choix, et la quête spirituelle par la recherche du « look ». Pourtant, la sagesse et l’expérience ont surement leur place dans l’échelle des valeurs d’un peuple. Ou peut-être tout cela n’est que l’opinion de quelqu’un qui vieillit… Quoi qu’il en soit, j’ai tout de même senti qu’on n’était pas loin du freak show.

Dommage.

Le sadhu (du sanskrit sādhu, « homme de bien, saint homme ») est, en Inde, celui qui a renoncé à la société pour se consacrer au but ultime de toute vie, selon l'hindouisme, l'arrêt du cycle des renaissances et la dissolution dans le divin, la fusion avec la conscience cosmique. En tant que renonçants, ils coupent tout lien avec leur famille, ne possèdent rien ou peu de choses, s'habillent d'un longhi, d'une tunique, de couleur safran pour les shivaïtes, jaune ou blanche pour les vishnouites, symbolisant la sainteté, et parfois de quelques colliers. Ils n'ont pas de toit et passent leur vie à se déplacer sur les routes de l'Inde et du Népal, se nourrissant des dons des dévots.

lundi 7 mars 2011

Lantang... le voyage intérieur

Je vous ai relaté, dans ma dernière chronique, les détails factuels de ma randonnée dans la Lantang Himal. Cette fois, tournons-nous un peu vers l’intérieur pour voir ce qui s’y trouve, histoire de mieux saisir l’impact d’une telle aventure.

Je suis tenté de résumer le tout en disant simplement que je me suis senti bien, vraiment bien. Un sentiment d’être au bon endroit au bon moment. Mais encore dîtes-vous… OK. Je me suis senti tour à tour excité, serein, comblé, exalté, privilégié, profondément calme et euphorique. Bref, j’ai pogné un osti d’buzz.

Bien des choses y ont contribué et c’est difficile de les démêler, car elles font toutes parties de l’expérience d’une randonnée en montagne au Népal. Je me lance tout de même…
Tout d’abord, en soi, le fait d’être dans la nature fait effet. L’air est pur, pas d’autos, pas de motos, en fait, pas de moteurs. Souvent, lorsque je m’arrête sur le sentier, pas un bruit. Le calme, la paix, la sérénité. Il y a beaucoup moins de stimuli qu’en ville, donc plus de place pour se poser doucement et se laisser bercer. De plus, il y a peu de gens qui font ce trek à ce moment de l’année, donc je baigne dans un espace de grande tranquillité. Mon esprit s’apaise et je me satisfais pleinement d’être là où je suis plutôt que de me demander ce que je ferai dans quelques minutes, dans quelques heures ou même dans quelques mois.

Puis le paysage. Vaste, grandiose, inspirant. La montagne attire le regard vers le haut. Je me sens littéralement soulevé. Mon corps est léger malgré la fatigue et les 12 kilos que je porte sur le dos. Il y a de l’horizon, du ciel. Je peux, plus souvent qu’autrement, voir loin. La bordée de neige accentue l’effet de la lumière à cette altitude et tout est resplendissant. L’effet sur le moral se fait sentir. Je dois me pincer pour me rappeler à quel point je suis chanceux d’être ici.

Et puis, il y a le rythme de la marche. Il y a, pour moi, quelque chose d’essentiel dans une longue randonnée. Parcourir un chemin de nombreuses journées, ça se vit à la fois dans le corps, dans la tête et dans l’âme. Plus encore, il y a, dans le fait de déambuler à la vitesse de ses pas, quelque chose de pure et de rassurant qui permet de goûter intensément chaque moment.

Les métaphores avec la Vie sont peut-être faciles et peu originales, mais ça ne les rend pas moins vraies.
Qu’il fasse beau ou moins beau, que le sentier soit facile ou difficile, que je sois fatigué ou pas, il me suffit, une fois la direction choisie, de mettre un pied devant l’autre. Je ne me pose plus de questions, il n’y a plus de doutes, il n’y a que le plaisir d’avoir choisi, et de suivre, sa voie.
Quand il fait beau, je savoure. Je prends le temps de m’arrêter, de respirer et de regarder, et il monte en moi un sentiment de plénitude et de gratitude.
Quand le temps est moins clément, je baisse la tête, et je continue de mettre un pied devant l’autre. C’est futile de pester contre le mauvais temps, ça ne fait que rendre l’expérience plus difficile. Il n’y a qu’à l’accepter et à poursuivre sa route avec détermination. Il n'existe rien de constant si ce n'est le changement disait Bouddha. L’acceptation de cette grande vérité est plus facile dans la nature. Ça se sent dans les trippes.

Durant cette marche j’ai (re)trouvé mon rythme. L’objectif final existe, mais il est loin. Il n’y a pas de temps défini pour franchir les étapes. Il n’y a donc pas d’obligation de résultat pour aujourd’hui outre peut-être celui d’être présent. En fait, même l’objectif final, ce n’est qu’un prétexte, une orientation qui permet d’entamer le mouvement. Il importe relativement peu si je me rends où pas, il n’y a que la route. Ayant cette perspective, je ne mesure pas la distance parcourue ni celle qu’il me reste à parcourir. Je n’ai pas hâte d’arriver car je suis submergé par car ce que je vis, ici et maintenant. La marche devient en sorte une méditation active.

Et elle est active. Il ne faudrait pas que je vous donne l’impression qu’une telle randonnée ne demande pas un effort physique soutenu. C’est quand même de nombreuses heures de marche par jour, plus de 3000 mètres de montée (et de descente…) et un confort rudimentaire. Cet effort est en fait directement lié au sentiment de bien-être. Selon Wikipédia, « les endorphines, ou endomorphines, sont des composés opioïdes peptidiques endogènes. Elles sont secrétées par l'hypophyse et l'hypothalamus chez les vertébrés lors d'activité physique intense, excitation, douleur et orgasme. Elles ressemblent aux opiacés par leur capacité analgésique et à procurer une sensation de bien-être ». Il paraît que la quantité d'endorphines augmente pendant l'exercice et atteint cinq fois les valeurs de repos, 30 à 45 minutes après l'arrêt de l'effort et que les sports d'endurance sont les plus endorphinogènes. Mens sana in corpore sano disaient les romains.

Voilà donc en quelques lignes les mots qui me viennent pour décrire l’expérience. Reste que comme pour toute expérience, les mots nous manquent pour décrire le ressenti, et c’est bien ainsi car il faut le faire pour le vivre. Sur ce, je prépare ma prochaine randonnée. D’ici quelques jours je pars pour le circuit de l’Annapurna avec mon fils Alexis qui vient de me rejoindre il y a quelques jours.



OOOOOOOOoooooooommmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmm!!!

jeudi 3 mars 2011

Lantang... le voyage extérieur

Premier trek au Népal depuis 1986. Bien que je sois venu de nombreuses fois depuis, c’était dans le cadre du travail, donc pas le temps requis pour ce type d’activité. Je me sens d’attaque, mais avant tout, je dois décider si je transporte tout mon bagage où si j’embauche un porteur? Il fera assurément froid, il est encore tôt en saison et je monterai à plus de 4000 mètres. J’aurai donc besoin de beaucoup de vêtements chauds. Cela dit, je coucherai dans des lodges, qui, pour la plupart, offrent un confort semblable aux refuges des sentiers pédestres ou de ski de fond du Québec (sans chauffage cependant, mais avec des couvertes!), donc pas de stock de camping et peu ou pas de nourriture.

Je décide finalement de tester le tout par une (relativement) courte randonnée dans les montagnes du Langtang Himal. Je choisis de partir seul, sans porteur ni guide, histoire d’être plus libre de mes mouvements et de ne pas avoir à négocier ou à m’expliquer quant au temps de départ, au nombre d’heures de marche, aux arrêts,… et voir ce dont je suis capable. J’irai lentement, parcourant en 10 jours ce que les livres suggèrent se fait en 7 ou 8 jours.

Je fais tous les achats requis à Katmandou, car j’ai tout renvoyé on linge chaud à Montréal en octobre dernier. J’essaie de ne pas être trop chargé, mais je ne sais pas exactement ce qui m’attend. On me dit que la température devrait être élevée le jour et qu’il n’y aura pas de neige à ce temps de l’année, outre sur les sommets des montagnes qui m’entoureront. On verra bien…

Je quitte donc un beau matin de la mi-février pour un mémorable voyage d’autobus qui franchira les 150 kilomètres me séparant de Syabrubesi, le point de départ de la rando,… en 10 heures! Voyage plutôt pénible, mais c’est le prix à payer. Je suis accompagné d’un couple de jeunes britanniques, Matt et Rachel. Ils sont très sympathiques, et eux, de l’équipement, ils en ont. Matt travaille à temps partiel dans un magasin de plein air, et il achète toutes les nouveautés sur le marché. Ils semblent les deux fins prêts, et je me demande si j’arriverai à les suivre, bien qu’il n’y ait pas d’engagement de part et d’autre.


Syabrubesi possède le charme de ces petits villages de montagne qui sont à la fois le bout de la route et le début du sentier. On y sent une certaine fébrilité de la part des randonneurs qui entameront la piste le lendemain et le mélange de fatigue, de fierté et de sérénité qui règne autour de ceux qui en sont revenus. J’ai très hâte de partir, mais curieusement, mon estomac ne partage pas mon enthousiasme. Le Dahl Bhat mangé il y a quelques heures ne passe pas bien. Je vous éviterai les détails, mais après une nuit mouvementée, je décide de reporter mon départ d’une journée et je passerai l’essentiel de mon temps à dormir.

Je me sens mieux le lendemain quoique un peu faible, mais pas question de retarder le départ. En fin de journée, on n’aura fait que la moitié de la distance suggérée par la Bible - le Lonely Planet « Trekking in the Nepal Himalaya - mais je trouve que c’est bien assez. Le paysage est agréable, mais pas dramatique. On se croirait dans l’ouest canadien, avec de nombreux conifères et des parois rocheuses plutôt abruptes. La deuxième journée on ne marchera que moins de trois heures et mes amis ont de la difficulté à trouver un bon rythme. Je me trouve à les attendre fréquemment. C’est bon pour l’égo, mais l’égo n’a pas sa place ici. Les bienfaits du plein air se font déjà sentir, je commence à me détendre et à apprécier chaque moment.

En début d’après-midi il commence à pleuvoir, puis à grêler. Je passerai la journée à placoter avec les gens qui se trouvent au lodge et à regarder le ciel changer de couleur aux 10 minutes. Il y a peu de gens sur le sentier. Tout d’abord, la région ne reçoit qu’une fraction des randonneurs qui viennent au Népal chaque année. On parle de 100 000 marcheurs vers le camp de base de l’Everest, 60 000 dans la région de l’Annapurna contre seulement 5 000 au Langtang. De plus on est encore hors saison. Octobre-novembre est de loin la période la plus populaire, suivi de mars-avril. Durant tout le trek, il n’y aura jamais plus de quatre étrangers dans les endroits où je loge et parfois je serai seul.

Surprise, le lendemain matin, il neige légèrement. Deuxième surprise, mes compagnons m’annoncent qu’ils redescendent. C’est vrai que ça s’annonce un peu plus costaud qu’anticipé. S’il neige ici à 2 400 mètres, il y aura certainement encore plus de neige en altitude. Bon, c’est pas un peu de neige qui va m’arrêter, alors je poursuis ma route seul. Le sentier devient de plus en plus difficile, la neige s’accumulant rapidement. Je décide donc d’arrêter vers 13 heures et d’attendre que la tempête s’essoufle. Pas de répit de la journée, le soir venu il y a au moins 20 cm au sol. Je m’endors donc sans trop savoir ce qui m’attendra le lendemain.

Le matin suivant, je suis réveillé par une lumière éblouissante qui illumine ma petite chambre. Il fait un temps splendide. Le ciel est d’un bleu azur et le reste du paysage est drapé de blanc. Ce serait une magnifique journée de ski de fond, mais il faudra plutôt marcher. Pendant deux jours je monterai dans la neige jusqu’au dernier village à 3850 mètres. Le spectacle est magnifique, les couleurs étincelantes et la sensation enivrante. Je me sens extraordinairement bien. Je resterai à Kyanjin Gompa 2 ½ jours et je monterai jusqu’à 4 700 mètres.

Assis, seul au sommet de Kianjin Ri, je me sens privilégié. Il y a des moments où tout semble parfait et les mots ne suffisent pas pour décrire le sentiment de plénitude qui m’habite.

Je dévalerai en trois jours les 2 500 mètres jusqu’à Syabrubesi, mon point de départ. Mes genoux en prendront pour leur rhume, mais malgré le fait que je sens encore un peu de douleur 6 jours plus tard, je veux absolument retourner en montage. J’y ai retrouvé quelque chose d’essentiel. Mais ça, ce sera l’objet de ma prochaine chronique.



Once in their lifetime, every person should journey to a place where legends live, where everything is bigger than life.
Alpiniste anonyme